VIES DU VIN

“Parce que le Champagne est un vin vivant, très vivant ! Il a même plusieurs vies !"
Qu’est-ce que le dégorgement ?

L'œuvre du temps

L’œuvre du temps

Bruno Paillard

A la fin de l’élevage des bouteilles sur lies – chez Bruno Paillard 2 à 3 fois la norme pour les multi–millésimes, 8 à 12 ans pour les millésimés – le dépôt qui s’est formé lors de la fermentation en bouteille et a ensuite largement contribué à sa complexité, doit être évacué. En effet, si ce dépôt était laissé dans la bouteille, le vin serait trouble lors du service, au lieu d’être brillant comme il se doit…

Pour évacuer ce dépôt, il faut déjà le concentrer près du bouchon. Cette opération s’appelle le « remuage ». Pour cela, on installe les bouteilles sur des pupitres en bois conçus de telle façon que l’on puisse les remuer légèrement chaque jour, d’un mouvement combinant rotation et inclinaison, afin de faire glisser ce dépôt près du bouchon, jusqu’à ce que la bouteille se retrouve “tête en bas”.. Le remuage est maintenant effectué à l’aide de machines reproduisant la même combinaison de mouvements sur un ensemble de bouteilles, les « gyropalettes », à la précision inégalable.

Lorsque la bouteille est « tête en bas » le dépôt est donc concentré sur quelques millimètres de hauteur, contre le bouchon. On peut alors procéder à son expulsion : c’est l’opération du « dégorgement ».

COMMENT LE DÉGORGEMENT SE FAIT-IL ?

Le dégorgement se pratiquait autrefois « à la volée » : l’opérateur ouvrait la bouteille « tête en bas », et d’un geste vif la redressait en contrôlant de son pouce la quantité de vin s’en échappant et entraînant le dépôt. Lorsqu’il reposait la bouteille, celle-ci ne contenait plus que le vin brillant, un peu de mousse s’échappant encore du col. De nos jours, cette opération est réalisée par une machine: on commence par tremper le col dans une sorte de congélateur qui crée un glaçon près du bouchon. Ainsi, le dépôt en étant prisonnier il est possible de redresser la bouteille et de l’ouvrir en position verticale, limitant ainsi la perte au strict nécessaire. Ce progrès permet une régularité totale d’une bouteille à l’autre dans une hygiène parfaite.

LES CONSÉQUENCES DU DÉGORGEMENT

Bruno Paillard

Les conséquences sur ce vin vivant sont nombreuses. Dans un premier temps, le vin vit un traumatisme, exactement comme une personne qui aurait subi une opération chirurgicale.

Dans le langage traditionnel du caviste, « dégorger » se disait d’ailleurs « opérer », et effectivement il s’agit bien d’une sorte d’opération chirurgicale… Par conséquent, le premier besoin du vin après le dégorgement, c’est une convalescence. Et l’expérience nous a appris que, exactement comme après une opération chirurgicale chez l’humain, cette convalescence devra être plus longue sur un sujet âgé que sur un sujet jeune.

C’est cette expérience qui, chez Bruno Paillard, nous a amenés à décider d’un repos minimum de 5 mois de repos après dégorgement aux Première Cuvée Extra-Brut et Rosé Première Cuvée, vins relativement « jeunes », 6 mois au Blanc de Blancs Grand Cru, 8 à 12 mois aux millésimés et jusqu’ à 18 mois à la cuvée N.P.U. Nec Plus Ultra, toutes ces cuvées étant plus âgées.

Pendant cette convalescence, le vin va retrouver son équilibre, son acidité originelle et la douceur du dosage extra brut se mêlant intimement à la micro-oxydation permise par l’ouverture, même brève de la bouteille. Ce repos est nécessaire pour permettre au vin de retrouver sa parfaite harmonie.

Les conséquences du dégorgement
Les vies après dégorgement

Post-dégorgement et dosage

Bruno Paillard

Après cette phase de rééquilibrage, le vin va continuer à vivre. Son évolution résultera de la combinaison de nombreux facteurs.

D’abord les tendances naturelles des cépages, même si elles peuvent varier considérablement selon les crus, sont connues : le Chardonnay très riche en acidité, avec selon les crus des notes d’agrumes – citron vert, amande fraîche, fleurs blanches – gagne avec l’âge en complexité, évolue vers le pamplemousse, l’orange voire même l’écorce d’orange confite. Le Pinot Noir lui aussi avec des nuances selon les crus offrira des arômes typiques de fruits rouges dans sa prime jeunesse – fraise, framboise, groseille, griotte… – puis évoluera vers les fruits noirs – mûres, cassis – et les notes épicées. Le Meunier, généralement moins acide que les deux premiers, évoluera d’arômes de fruits suaves – poire, banane, litchi – vers ceux de la pâtisserie, du fruit confit et voire même de la figue.

Au-delà de ces évolutions propres aux cépages et aux crus, et dont l’incidence dépendra bien sûr de leur importance dans l’assemblage, deux facteurs nés de l’opération du dégorgement jouent un rôle essentiel …

Une micro-oxydation, phénomène très lent et parfaitement naturel, va se produire. En effet, avant le dégorgement, il n’y avait plus d’oxygène dans la bouteille puisque ce dernier avait été intégralement consommé par la fermentation et transformé en gaz carbonique : celui-là même qui se libérera à l’ouverture en d’innombrables petites bulles… Mais lors du dégorgement, l’ouverture de la bouteille permet à une infime quantité d’oxygène de s’introduire dans la bouteille : ce qui va générer cette micro-oxydation.

L’autre élément principal de l’évolution du vin tient à l’arrivée des quelques grammes de sucre introduits lors du dosage, avant la pose du bouchon. Ce sucre va provoquer une micro-madérisation. Certes, très faible et très lente dans le cas de vins très peu dosés comme ceux de la Maison Bruno Paillard, mais tout aussi naturelle que perceptible.

La combinaison de cette micro-oxydation et de cette micro-madérisation va caractériser l’évolution du vin après le dégorgement. C’est bien parce que le vin va continuer à vivre, et donc évoluer, que Bruno Paillard a tenu dès 1985 à indiquer sur chaque bouteille le mois et l’année de son dégorgement. Il fut le seul pendant 20 ans, là aussi précurseur malgré les critiques…

Essayons d’explorer ce qu’il appelle “les 6 vies” d’un grand Champagne :

Les vies après le dégorgement

Bruno Paillard

A partir du dégorgement, commence un processus naturel de vieillissement du vin dont l’évolution aromatique, visuelle, et gustative peut se définir en 6 étapes :

Le « Temps des fruits »
Une première vie, dominée par les arômes fruités de toutes sortes – agrumes, fruits rouges… – selon les compositions des cuvées, où la couleur est encore pâle et le perlage, bien que très fin, demeure vivace. C’est le temps des fruits. Ils dominent clairement.

Le « Temps des fleurs »
La seconde étape, non pas distincte mais qui se cumule assez vite avec la première verra une dominante plus florale : fleurs blanches, roses… la teinte des vins n’évolue pas encore vraiment. C’est le temps des fleurs. Le perlage, toujours aussi fin, ne s’atténue pas encore.

Le « Temps des épices »
La troisième vie sera caractérisée par l’apparition d’arômes épicés et des notes de fruits secs : amandes, noisettes, c’est le temps des épices. La teinte du vin devient un peu plus soutenue. Le perlage encore plus fin. A ce stade, chez Bruno Paillard nous considérons que le vin est prêt à “entrer dans le monde”.

Le « Temps du toasté »
Après quelques années, viendront s’ajouter des arômes de croûte de pain, c’est le temps du grillé, du toasté. On les trouve naturellement dans les millésimes qui sont élevés plus longuement encore.

Le « Temps du confit »
Enfin, on notera des évolutions vers les fruits confits, le pain d’épices, voire des touches miellées et le nougat, les calissons. Au-delà des arômes précédents, c’est le temps du confit.

Le « Temps du torréfié »
Enfin, des années après apparaissent en plus des notes de torréfaction. C’est l’âge de la plénitude.

Selon les conditions de conservation, cette maturité « fruits – fleurs – épices – toasté – confit – torréfié » sera plus ou moins rapide. Il faut toutefois compter au minimum de 2 à 5 ans après le dégorgement pour obtenir les premiers arômes épicés et parfois des décennies pour la maturité la plus aboutie.

Seuls les plus grands Champagnes peuvent offrir cette évolution recherchée des vrais amateurs qui trouvent ainsi plaisir à les mettre en cave parmi leurs grands crus. Avec les grands Sauternes ils sont les vins qui offrent les plus grandes capacités de vieillissement, contrairement à une idée parfois répandue…

Les conséquences du dégorgement

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